S’appuyer sur le sensible pour valoriser le patrimoine est une demande récente des musées. En effet, à une époque où le multimédia modifie chaque activité de découverte, agissant notamment sur la perception, il devient nécessaire d’intégrer cette dimension du sensible lors des présentations touchant au patrimonial. Bretez est un projet multimédia, associant des acteurs de sciences humaines et sociales et ceux de sciences de l’ingénieur. Il est conçu pour répondre à ces problématiques.
Le projet tire son nom du géographe (Louis Bretez) qui leva, en 1739, le plan pour le prévôt des marchands Turgot en utilisant l’axonométrie – une technique de projection révolutionnaire pour l’époque.
Le projet Bretez relève de la recherche empirique, exploratoire et d’une méthodologie expérimentale ayant pour objectif la mise au point d’un modèle. Sa conception s’appuie sur les techniques de virtualité. Comme tout modèle virtuel, Bretez n’incarne pas une vérité scientifique figée mais une proposition représentant l’état de la science à l’instant de sa création et qui est voué à évoluer. Dans notre cas, c’est un média (la maquette crée sur une plateforme de jeu) qui sert de départ pour le dialogue entre différents membres d’une communauté scientifique, mais aussi un public large.
Deux grands axes se dégagent dès le début des réflexions portant sur l’élaboration du projet Bretez. D’une part, comment intégrer la dimension sensible, d’autre part, comment répondre à cette demande de multimédia tout en respectant les besoins des musées.
L’archéologie du paysage sonore répond à la première de ces demandes spécifiques. L’écologie du sonore et son ouvrage référent Le paysage sonore – le monde comme musique de R. Murray Schafer (1977, réédition 2010), est la première étape d’une prise de conscience des spécificités de cet environnement qui forment un paysage sonore. Puis les études d’A. Corbin (Les cloches de la terre – 1994) et de J.-P. Gutton (Bruits et sons dans notre histoire – 2000) ouvrent un chemin vers les aspects sonores du passé. Mais ces études restent au stade du théorique. L’archéologie du paysage sonore permet de passer à l’étape expérimentale.
Que ce soit dans le cadre d’une restitution de paysages urbains, d’ambiances d’intérieur, ou autres, les problématiques restent identiques. La restitution ou création de visuels et de paysages sonores historiques pose, d’entrée, des questions fondamentales: pourquoi restituer, dans notre cas, ce Paris des Lumières? Peut-on « voir/entendre » ce passé? Comment le restituer, le faire entendre? Quelles sont les difficultés, les limites d’une telle restitution? Quels sont les matériaux? Où s’arrête l’acte du créateur, celui du chercheur? Comment dépasser le concept d’habillage sonore et aboutir la restitution d’un véritable paysage historique? Comment intégrer ces notions relevant du sensible, les porter au public? Pour quel public?
La demande muséographique (dans notre cas) place le concepteur aux confins de la composition, de la musicologie et de l’histoire. Un « simple » habillage sonore (sound design) ne peut, en effet, satisfaire cette demande très spécifique qui entre, également, dans les cadres de la sauvegarde du patrimoine immatériel.
En effet, pour le musicologue, pour le metteur en sons, ce travail est inhabituel. Les matériaux ordinaires sont quasi inexistants: pas d’enregistrements disponibles pour les années antérieures à 1870. Entendre le passé implique donc qu’il faut en chercher les traces dans l’ensemble du corpus littéraire (livres, journaux, etc.) ou graphiques. Puis, tenter de le pister dans le temps d’aujourd’hui afin d’en faire une captation. Il faut également solliciter l’imaginaire lors de la restitution pour mieux servir l’Histoire.
Pour le visiteur, l’ambiance sonore ainsi (re)créée doit également exciter son imaginaire pour l’aider à mieux percevoir, recontextualiser des situations historiques, tout en préservant la réalité historique et non jouer sur les émotions. Trouver le juste milieu dans la sollicitation de cet imaginaire pour mieux servir le patrimoine et le mettre en valeur sera le fil conducteur de cette première partie.
D’autre part, ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, dès nos premières observations sur et autour du Projet Bretez, il est apparu que de nombreuses contraintes techniques étaient présentes, notamment des contraintes matérielles et logicielles. Parmi celles-ci, l’obsolescence présente un réel frein pour les musées car elle représente un coût financier important. Il devint dont évident que mettre au service des musées, des historiens ou des archivistes une représentation visuelle, spatiale et audio qui respecte et témoigne d’une réalité du quotidien était un enjeu majeur, ceci afin de faciliter sa communication à un public de plus en plus friand de multimédia. Il était également incontestable que nous pouvions y répondre grâce, notamment, à l’utilisation d’un moteur de jeu.
Ce détournement d’utilisation de logiciel de conception de jeux vidéo soulève, à son niveau, de nombreux problèmes épistémologiques et éthiques. Comment développer une telle plateforme à des fins pédagogiques et scientifiques? Comment utiliser l’outil? Quelle stratégie de conception et de scénarisation? Quelles en sont les avantages, mais aussi les limites? Pour quel public? Ces réflexions structureront cette seconde partie.
La présentation de mes travaux s’appuie sur la maquette qui sert de matrice à la recherche et s’attardera plus particulièrement sur l’élaboration d’une maquette historique sonore, en s’articulant autour de cette réflexion: comment voir et ouïr le passé pour réjouir nos sens sans trahir l’Histoire?
Bretez est un projet restitution de Paris au XVIIIe siècle. La maquette virtuelle, résultat d’une coopération scientifique, associe des équipes de sciences humaines et celles des sciences de l’ingénieur (Humanités Numériques). Sa destination première est orientée muséographique. Son objectif, la valorisation patrimoniale par sa restitution numérique tridimensionnelle et sonore spatialisée, se dénote par une nouvelle approche de la restitution du passé en 5 D (la combinaison du visuel – la 3D –, le déplacement et la dimension sensoriel – le sonore). Fruit d’un travail collectif, Bretez présente une très forte dimension sonore qui rend le passé disponible et tangible pour un très large public. Il met ainsi en valeur une vision méconnue et scientifiquement valide de la ville lumière.
À terme, ce projet vise la conception d’une plateforme générique pour la génération procédurale de villes virtuelles, tant sonore que visuelle, qui permet de s’affranchir des contraintes technologiques liées à la diversité des supports et leur obsolescence. Projet innovant, ses spécificités porte sur:
Un tel projet permet d’élargir au maximum sa sphère de rayonnement. Pensé pour la muséographie, il s’est orienté vers la recherche sur demande d’équipes de chercheurs historiens ou archéologues (notamment LaDéHiS/EHESS). Il n’entre pas dans la catégorie jeu ou purement artistique car répond à des critères scientifiques. Toutes les sources sont primaires (archives de police, notariales, témoignages d’époque…). Nous assumons les « vides » : S’il n’y a pas de sources (ou ne pouvant être validées par la communauté scientifique), nous n’inventons pas – tant sur le plan visuel que celui des ambiances sonores. Chaque information est recoupée et validée par des historiens, sociologues... Le tout forme autant de contraintes à tout acte compositionnel « traditionnel ». Les questions de temporalités, au sein du logiciel, sont réétudiées afin de répondre aux critères historiques et scientifiques et non ludiques.
L’élaboration de la maquette initiale sur une plateforme de jeu vidéo est un véritable atout. Ce type de logiciel permet de répondre à des demandes diverses et ouvre la porte à l’élaboration de toute sorte de produits finalisés : ceux touchant à la réalité virtuelle, à la réalité augmentée, à la création de supports immersif ou non, à ceux nomades (pour les principaux)... Le projet entre en phase de prototypage. Les premiers essais et retours sont programmés à partir de juin 2016. Dans un premier temps, il est prévu la mise en test in situ, Place du Châtelet à Paris, d’une application en réalité augmentée en partenariat avec Labo-M (chef de projet: Pierre Girard) et le musée Carnavalet.
Ce projet soutenu et accompagné par la SATT PULSALYS pour une mise en chantier au 01/01/2016
https://sites.google.com/site/louisbretez/home