Cinq constats, déjà soulignés par plusieurs chercheurs (dont Steven Harnad et Jean Claude Guédon, par exemple) nous semblent démontrer l'urgence de développer des politiques institutionnelles pour promouvoir l'accès libre:
Pour sortir de ce mécanisme pervers il faut d’abord essayer de faire résistance au modèle imposé par ces multinationales, d’où l’importance des efforts de remettre en question ces politiques d'abonnement, comme l'a fait la Bibliothèque de l'Université de Montréal qui s’est désabonnée de l'offre panier de Wiley en janvier 2014. Mais il faut aussi proposer de nouveaux modèles.
Depuis longtemps, plusieurs initiatives essaient d’aller dans ce sens en faisant la promotion de l’accès libre, entre autres bien évidemment, pour le domaine francophone, érudit.org et revues.org (OpenEdition) tout comme des revues qui remettent en question les problèmes de modèle économique au nom de cette cause. Avec les Presses de l’Université de Montréal nous avons créé une collection en accès libre, "Parcours numériques", au printemps 2014, avec déjà cinq ouvrages parus.
La collection est basée sur l’idée qu’il doit y avoir une complémentarité entre l’édition papier et l’édition numérique, car ces deux formes de publication présupposent des idées différentes de lecture et deux approches différentes à la réception des contenus.
Le livre papier – et on entend ici également le numérique homothétique (epub ou pdf) qui reproduit à l’identique le livre papier sur un support numérique – permet une lecture linéaire. Une thèse peut y être présentée et argumentée de façon complexe. Le lecteur sera capable de suivre de manière linéaire le développement de l’argumentation, de faire un cheminement avec l’auteur en se laissant accompagner d’un bout à l’autre du discours. C’est pour cela que nous avons fait le choix de publier des livres assez courts (120/200 pages) : c’est la longueur adéquate pour présenter une thèse et la démontrer à l’aide d’une argumentation unique et cohérente. Sur un livre papier, on peut passer plusieurs heures pour suivre l’auteur dans tout son raisonnement. Mais il faut que le discours soit linéaire : tout ce qui entraîne une sortie par rapport au chemin principal doit être évacué. L’appareil critique, les références, les parenthèses, les exemples, les images, les statistiques, les détails… tous ces éléments viennent casser la linéarité de la lecture.
L’édition numérique augmentée, en revanche, présuppose une lecture non linéaire, qui procède par approfondissement. On commence par lire un premier texte sur un sujet, on souhaite en approfondir un aspect, puis on glisse sur un contenu qui se trouve ailleurs et qui nous permet d’en savoir plus sur ce qui au départ ne semblait qu’un détail. On navigue, on flâne, le parcours emprunté n’existe pas avant la navigation, il n’a pas été prévu par un auteur ou un éditeur. Ces derniers ont suggéré des pistes, ouvert des portes… puis la navigation est laissée aux lecteurs, à leurs envies, à leur créativité. Dans ce sens, il n’est pas vrai, comme le voudrait Nicholas Carr, que le numérique détruit notre capacité d’attention : il s’agit d’une attention différente, disséminée, qui permet l’approfondissement mais empêche de suivre un discours plus long et unitaire.
La collection "Parcours numériques" offre donc ces deux possibilités de lecture. L’édition en ligne augmentée offre le texte en intégralité, en libre accès, ainsi que toute une série de contenus additionnels qui seront autant de portes prêtes à être ouvertes pour nous emmener ailleurs, vers des approfondissements, des sujets connexes, d’autres formes de contenus, d’autres plateformes, d’autres parcours, qui n’ont pas été nécessairement prévus par l’auteur ou par l’éditeur du livre. C’est également pour cette raison que l’édition en ligne augmentée est gratuite : elle permet d’avoir accès à un univers connecté au livre, un univers qui n’a été créé ni par l’auteur, ni par l’éditeur. Si par la suite le lecteur souhaite se plonger pleinement et complètement dans la thèse de l’auteur afin d’en connaître et d’en comprendre les moindres aspects, il aura probablement davantage envie de le lire de façon linéaire et donc de l’acheter en papier, en epub ou en pdf.
De cette manière, on permet une circulation libre des contenus, un cercle vertueux où est mis en avant le travail de l’auteur grâce aux liens qui sont créés vers d’autres contenus, produits par d’autres. On met simultanément en place un réseau de connaissances et un dialogue. Mais on permet aussi, grâce au papier et à son double numérique homothétique, au discours linéaire de l’auteur d’exister, clair, identifié, reconnaissable. Deux lectures qui ne sont pas en compétition donc, mais qui se complètent.
Notre présentation révèlera les données sur les ventes au cours des deux premières années, les résultats du modèle économique choisi, ainsi que des données sur la plateforme en ligne.